HISTOIRE D'EAU ET DE POUSSIÈRE
L'eau, du big-bang à votre verre


I - La suite du Big-Bang

macCall

Le tableau périodique des éléments
vu par M. B. McCall,
à l'usage des astronomes.
 

Tout le monde connait le tableau périodique des éléments qui présente la centaine d’espèces d’atomes que l’on peut trouver dans la Nature, moins connu est celui de M. Benjamin McCall, professeur à l’Université de l’Illinois, qui le simplifie outrageusement, à l’usage des astronomes : un univers peuplé uniquement de 75% d’hydrogène et 25% d’hélium.


Mais, si on regarde d’un peu plus près, on voit qu’il y a aussi, en très petite quantité, quelques autres éléments tel que C, N ou O (Carbone, azote, oxygène) qui jouent un rôle très important dans le mécanisme qui, au cœur des étoiles, produit l’énergie qu’elles rayonnent tout en synthétisant les noyaux d’éléments plus lourds, que l’on voit dans la partie agrandie du bas du tableau.

combinaison

Le bas du tableau périodique des éléments de M. B. McCall.
 

Hydrogène et oxygène : tout ce qu’il faut pour faire de l’eau H2O. L’eau est apparue très tôt dans l’histoire de l’Univers : le quasar APM 08279+5255 est observé en rayons X et son spectre montre qu’il contient déjà une grande quantité d'eau, seulement 1,7 milliard d’années après le Big-Bang. (voir effet de lentille gravitationnelle : simple, ou plus compliqué )

rayons_x

Le quasar APM 08279+5255 : observé en rayons X à gauche, et en « vue artistique » à droite.(Image NASA)

 

II - Où se forment les molécules d’eau ?

Dans les étoiles ? Sûrement pas ! La température est bien trop élevée, et les molécules d’H2O seraient immédiatement détruites.
Reste le milieu interstellaire, ou MIS, c'est-à-dire tout l’espace entre les étoiles. Il est très inhomogène : 10 à 100 atomes par cm3 en général, 104 à 105 dans certaines régions denses qui vont beaucoup nous intéresser. Notez que dans l’air que nous respirons il y en a typiquement 1014 fois plus, et que les vides les plus poussés que l'on sache atteindre arrivent péniblement le niveau des régions les plus denses. Le terme courant de « vide intersidéral » n’est donc pas excessif.
L’espace interstellaire est cependant immense, et la masse totale de ce gaz est, dans une galaxie comme la notre, du même ordre de grandeur que celle des étoiles.
Sir James Hopwood JEANS(1877 -1946), un astronome anglais anobli, a montré que les régions denses du MIS, qui se forment par autogravitation, peuvent former des sortes de nuages qui présentent une certaine stabilité : si la densité, donc la gravité aussi, devient trop forte, le nuage se contracte, les atomes s'entrechquent plus souvent, il apparaît alors une pression interne qui contrebalance la gravité, et stabilise la situation. Ces nuages peuvent être très grands, typiquement 10 à 100 Années-lumière, et représentent des quantités de matière considérables, de l’ordre de 104 à 105 fois la masse du Soleil.
C'est dans ces régions denses, appelées « nuages moléculaires » (on devine déjà pourquoi !) que tout va se passer.


III - Peut-on fabriquer des molécules dans le gaz raréfié du MIS ?

Dans un gaz, on dit que l’on se trouve « en phase gazeuse », deux atomes qui s’entrechoquent peuvent réagir entre eux pour former une molécule. Dans l’air que nous respirons, une particule voyage en moyenne un dixième de millimètre entre deux chocs : c’est "le libre parcours moyen". Ces chocs, qui sont en fait la source de ce qu’on appelle la pression du gaz, sont donc extrêmement fréquents. Dans le MIS, même dans les nuages moléculaires les plus épais, le libre parcours moyen est bien plus long : des milliers de km, les chocs sont extrêmement rares, il devient impossible que deux atomes se rencontrent pour former une molécule. Il va falloir trouver autre chose que la phase gazeuse pour faire de l’eau, c’est là qu’intervienent …


IV - Les grains de poussière dans le MIS

Mélangés au gaz du MIS, on trouve des grains de poussière. Il y en a de toutes les tailles, mais ils font typiquement un millième de millimètre. Certains sont plutôt du genre charbon, ou suie, d’autres sont plutôt poussière de roche, ou silicates. Cette poussière représente moins de 1% de la masse de matière dans le MIS. Autrement dit un grain pour 1012 atomes de gaz. Elle joue néanmoins un rôle essentiel en Astrophysique, dans deux processus :


V - Origine des grains

Bételgeuse
Poussière autour de Bételgeuse, en coronographie
               







VI - Température des grains dans un nuage

Nuage
Nuage moléculaire "éclairé" par les étoiles voisines

La quantité de poussière contenue dans un nuage moléculaire est telle qu’il peut devenir complètement opaques. Les étoiles voisines l'éclairent, mais cette lumière est absorbée complètement dès la périphérie du nuage, conséquences :





VII - Chimie à la surface des grains

Adsorption
Adsorption des atomes à la surface des grains.

D’une manière générale, les atomes d’un gaz ont tendance à se coller à la surface d’un corps solide, d’autant plus fermement, et plus en abondance, que cette surface est plus froide. Dans un nuage, les atomes du gaz vont donc avoir tendance à former une pellicule à la surface des grains très froids. Des atomes, qui n’avaient aucune chance de se rencontrer et d'interagir en phase gazeuse, vont ainsi avoir tout le temps nécessaire pour se côtoyer à la surface du grain et laisser agir des réactions chimiques spontanées, très lentes, certes, mais qui aboutissent à la synthèse de nombreuses molécules simples comme OH, H2O, CO, CO2, NH, CH etc.

Synthèse
Synthèse de molécules à la surface des grains.

On remarque tout de suite que, vu la température, toutes ces molécules vont se trouver à l’état solide, et vont donc recouvrir progressivement le grain d’une véritable couche de glace (glace d’eau, glace de neige carbonique, etc.) et la taille du grain va aller croissante. Toujours en phase solide, des réactions vont pouvoir s’amorcer entre ces molécules simples pour en former de plus complexes, c’est ainsi que peuvent se former des molécules comme l’alcool éthylique, des chaînes d’hydrocarbure, voire des acides aminés, dont on sait qu’ils sont les briques pour fabriquer les chaînes polypeptidiques et les protéines.


VIII - Sort des grains et molécules

Evaporation
Evaporation du nuage à sa surface

Le lecteur pourra à juste titre se demander comment on a pu observer tout ça au cœur d’un nuage opaque et glacé ? La réponse est très simple : au sein d’un nuage moléculaire il y a toujours des mouvements internes, une certaine turbulence, quoi que très lente. De ce fait, il peut arriver que des grains parviennent à la périphérie du nuage, où ils sont alors rapidement chauffés par le fond de rayonnement des étoiles qui environnent le nuage, leur carapace de glace passe en phase gazeuse, et le même rayonnement excite ces molécules qui vont émettre dans les domaines radio et infrarouge des photons caractéristiques, on parle de "signatures spectrales, qui vont permettre de les identifier. Le plus souvent, et assez rapidement, surtout si les étoiles environnantes sont jeunes et bleues, les molécules à l’état gazeux sont assez vite détruites par les photons ultraviolets, et le grain réfractaire de départ retourne dans le MIS diffus d'où il était venu. Peut-être qu’un jour il se retrouvera dans un nouveau nuage moléculaire... Ou Peut-être pas!


IX - Sort des molécules lors de la formation d’étoiles avec leurs planètes

animation
Animation : effondrement d'un nuage

Différentes causes, comme l’explosion d’une super nova voisine évoquée dans cette animation, peuvent rompre l’équilibre du nuage moléculaire prévu par Jean. Il se trouve alors que le nuage, initialement stable, se fragmente en morceaux, qui, eux sont instables vis-à-vis de la gravitation, et finissent par s’effondrer sur eux même, on parle de "collapse gravitationnel".
(Cliquez ici pour animation au format mpg)
(Cliquez ici pour animation au format avi)

C’est ainsi que, en général, les étoiles se forment en groupe, on parle d’amas ouvert, qui se disperse progressivement. L’amas des Pléiades est bien connu, le Soleil quand il s’est formé il y a environ 4,5 milliards d’années, était membre d’un amas similaire, aujourd’hui complètement dispersé.


amas
Amas des Pléiades

Tout le monde connaît l’histoire du patineur à glace qui fait la toupie, il amorce son mouvement de rotation en écartant au maximum bras et jambes, puis il tourne de plus en plus vite, automatiquement sans rien faire d’autre que de se rassembler sur lui-même. On appelle ça en mécanique la conservation du moment cinétique. Le même phénomène va se produire au cours de l’effondrement d'un nuage : ses dimensions diminuent considérablement, et il tourne de plus en plus vite. Alors que l’étoile concentre l’essentiel de la masse du fragment, il se forme autour d'elle un disque de matière qui prend en charge la quasi-totalité du moment cinétique.


Parenthèse pour les matheux : Conservation du moment cinétique

Si r diminue, il faut que V augmente pour conserver Σ m Vr .

moment cinétique
Moment cinétique

effondrement
Animation : Effondrement et formation du disque protoplanétaire
On notera vers la fin l'accélération de la vitesse de rotation












Fin de parenthèse.





L’animation suivante montre comment, progressivement, la matière qui est dans le disque s’agglutine pour former le système de planètes qui accompagne l’étoile.

planètes
(Animation au format avi) Formation des planètes à partir du disque protoplanétaire

Pendant toute la phase d’effondrement du nuage la matière tombe littéralement en chute libre dans l’étoile et sur le disque. Rapidement, l’étoile va être suffisamment chaude pour pouvoir démarrer les réactions thermonucléaires qui vont la rendre lumineuse, comme tout le monde, elle commence par le plus facile : consommer son deutérium, dont les noyaux arrivent à fusionner à une température bien moins élevée que celle qui est nécessaire pour amorcer la fusion de l’hydrogène. Ce processus donne à la jeune étoile une phase de sur-luminosité de courte durée. Pendant ce temps, la matière qui tombe dans le disque est arrêtée brutalement dans sa chute par un véritable mur, ce qui provoque son échauffement. Le disque est à une température bien plus basse que celle de l’étoile, mais suffisant pour qu’il rayonne dans l’infrarouge, ce qui va le refroidir assez rapidement. Les conditions varient beaucoup sur l’étendue du disque : la partie centrale, proche de l’étoile, est très chaude, mais les premiers grains forment un écran à la lumière de l’étoile qui protège ceux qui se trouvent plus loin de l’étoile, ainsi la température décroît très rapidement vers la périphérie. On voit bien alors comment les grains froids peuvent conserver leur carapace de glace acquise ans le nuage initial Ceci leur permet de s’agglomérer entre eux pour former des condensations de matière d’où se formeront progressivement les planètes du système.

disque
Répartition de la température dans le disque protoplanétaire


X - Sort des grains et de leur carapace de glace de molécules

On se souvient de ce qui arrive aux grains qui s’approchent trop des bords du nuage moléculaire, de la même manière tout ceux qui arrivent dans le proche environnement de l’étoile sont détruits : les composants moléculaires de la carapace retournent à l’état atomique, de même que les matériaux réfractaires du grain quand la température dépasse la plage des 1000 à 1500K.

En dehors de cette zone centrale chaude, la matière tombée du nuage, grains et gaz, va avoir tendance à coaguler. Plus on ira vers l’extérieure du disque plus les corps formés contiendront de glace de molécules. C’est ainsi que s’est formé au-delà de Neptune une zone où l’on ne trouve plus que des corps essentiellement composés de cette glace : Pluton, les transneptuniens, le réservoir de noyaux de comètes de la ceinture de Kuiper etc.

En résumé, en partant du Soleil, on trouve d’abord des corps très minéraux, comme les planètes telluriques (Mercure, Vénus, Terre et Mars), et de moins en moins secs. Une fois dépassée la distance au Soleil où la température passe largement au dessous de 100K, aux environs de l'orbite de Jupiter, toutes les molécules sont restées à l’état solide, et elles sont soit prises dans de gros glaçons, soit agglomérées aux planètes géantes (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) qui avaient une masse initiale suffisante pour capturer l’hydrogène et l’hélium résiduels du nuage.

Au passage, on n’oublie pas que l’essentiel de la masse du nuage se trouve dans l’étoile, alors qu’inversement ce qui a été conservé du moment cinétique initial du nuage se retrouve maintenant dans le système planétaire.


XI - L'eau liquide

Il y a aujourd’hui un consensus pour admettre que la présence d’eau à l’état liquide fait partie des conditions essentielles pour permettre l’apparition de la vie sur une planète solide. Comment se fait-il que seule la Terre jouisse de ce privilège parmi les planètes telluriques ? Deux raisons y contribuent :

Le graphique ci-dessous, appelé « diagramme de l’eau » montre les plages de température et de pression dans les quelles l’eau se trouve à l’état solide, liquide ou gazeux.

diagramme de l eau
Diagramme de l'eau

Sur ce graphique on distingue les trois zones :

On remarque l’existence d’un point particulier, vers 273K et 0,01 atm, où les trois états peuvent coexister, mais ceci de façon très instable, on parle de "point triple".
A partir de ce diagramme on peut facilement expliquer la présence ou l’absence de l’eau dans les atmosphères des planètes telluriques :