LOCALISATION DE LA SOURCE
D'UNE ONDE GRAVITATIONNELLE


I - Introduction

      Un récepteur comme LIGO est sensible dans toutes les directions, mais sa sensibilité est la plus grande quand l'onde arrive perpendiculairement au plan des bras, c'est à dire par le zénith ou par le nadir. On est plus ou moins près de cette situation idéale selon l'endroit où on se trouve sur la Terre et selon la direction de la source. De plus, le diagramme de sensibilité est assez complexe car il dépend non seulement de la direction de la source et de la position géographique du détecteur mais aussi de l'orientation des bras de l'interféromètre à la surface de la Terre. Le niveau enregistré des signaux reçus n'a donc pas été le même à Livingston et à Hanford, par une combinaison d'effets dont certains sont propres aux interféromètres alors que d'autres sont propres à la source.
      Alors, dans le cas de GW150914, peut-on localiser sur le ciel la source d'émission des ondes ?

 

II - Exploitation des observations

Localisation de la source

© Séléné / GA, 2016.
 
      L'écart temporel entre les détections du signal à Livingston puis Hanford peut nous apprendre quelque chose sur la localisation de la source : 6,9 millisecondes, c'est le temps qu'il faut à l'onde pour parcourir 2068 km, alors que ~3030 km séparent le premier site (appelons-le L1) du second (H1) à la surface de la Terre, ce qui correspond à ~2994 km en vraie ligne droite (ce serait un trajet souterrain, compte tenu de la courbure de la surface terrestre, et ne poserait aucun problème aux ondes gravitationnelles !). On peut en déduire que l'onde gravitationnelle ne se propageait pas parallèlement à cette ligne droite L1-H1. Sinon, elle aurait voyagé pendant 10 ms pour parcourir les ~ 3000 km séparant les deux détecteurs ; cette orientation très particulière était bien entendu très peu probable ...
      Avec seulement deux récepteurs, il déjà est possible d'avoir une information. En 10 ms l'onde irait de L1 à H1, mais le signal qui vient d'être capté par les deux récepteurs l'a d'abord été par L1 puis 6,9 ms plus tard, seulement, par H1. Un petit raisonnement géométrique permet d'en conclure que la ligne L1-H1 doit faire un angle de 46° avec la direction de la source (car cos46° = 6,9/10), comme le montre la figure ci-contre (pour une raison de mise en page, l'angle de 46° a ici été réduit à 30°). On comprend vite que la source est située quelque part sur le cercle intersection de la sphère céleste et du cône de demi-angle 46°. Le calcul, sans être totalement élémentaire, n'est pas très difficile à faire. Si on imagine une multitude de sources réparties le long du périmètre de ce cercle, on sait donc que la source détectée le 14 septembre 2015 est l'une d'elles. Quelques-unes seulement de ces positions possibles sont évoquées en vert sur le schéma, mais toutes les génératrices du cône correspondent à des candidates valables, y compris celles qui sont souterraines : les ondes gravitationnelles sont à peu près indifférentes à la présence de la Terre comme déjà signalé. Si on considère une des sources (parmi l'infinité des possibles) figurées comme des étoiles vertes sur le schéma, la flèche verte qui lui est associée représente la direction de propagation de l'onde qui frappe la Terre, et l'onde elle-même si elle était représentée devrait être un plan perpendiculaire à cette flêche verte. Pourquoi un plan ? Parce qu'il s'agit d'une infîme zone d'une onde sphérique, centrée sur la source, d'un rayon immense : la distance de la source à la Terre.

      Vous pourriez dire que nous ne sommes guère avancés, compte tenu de la taille de ce cercle. Mais on peut aller plus loin. Pour cela, nous allons prendre en compte le fait qu'une source donnée ne donne pas la même intensité de signal sur L1 et H1, à cause de son orientation par rapport à chacun de ces deux détecteurs. Si on suppose qu'une source envoie un signal d'amplitude unité quand sa direction est perpendiculaire aux bras de l'interféromètre, selon l'orientation le signal sera plus ou moins proche de l'unité.

      Dans l'observation récente, on remarque que le flux reçu par L1 est plus faible que celui de H1, alors même que L1 est plus sensible intrinsèquement que H1. Pour chaque source répartie sur le cercle, on peut calculer le rapport des sensibilités obtenues. Le calcul est assez compliqué. Il faudra rejeter tous les rapports qui donneraient un signal plus fort en L1 puisque ce n'est pas ce qu'on observe. On élimine ainsi la moitié du cercle. Par ailleurs, plus le signal est fort, plus il y a des chances de capter une source et il faut naturellement que les deux récepteurs captent le signal. On peut imposer une détection minimale simultanée sur les deux récepteurs, par exemple la moitié du signal nominal d'une unité. On s'aperçoit ainsi que la partie admissible du cercle se réduit alors à une toute petite région. Naturellement, on ne peut dire qu'il s'agit de LA région où se trouve à coup sûr la source, mais c'est la zone où la présence de la source est la plus probable. Plus on s'éloigne de cette zone, moins il est probable d'y trouver l'émetteur de GW150914.

 

III - Le résultat

La source sur une carte du ciel

© G. Paturel / Séléné, 2016.
 
      La figure ci-contre montre le résultat final. Notez qu'en raison de la projection utilisée, le cercle de 46 degrés de rayon, figuré en jaune, a une forme un peu biscornue. La région en rouge est la plus probable (d'après nos calculs), les zones vertes le sont moins. On remarque que la zone rouge est très proche du plan de notre galaxie (repéré sur la carte par la ligne horizontale médiane à b=0°). Pure coincidence puisque le couple de trous noirs semblait être situé environ cent mille fois plus loin de nous que le centre de la Voie Lactée. Ce couple émetteur du signal était sans doute quelque part dans l'une ou l'autre de ces deux zones taillées en croissant, loin, très loin derrière notre Voie Lactée qui brille au premier plan ...

      Si de plus on suspecte que la source est située dans une galaxie, on peut chercher s'il y a une concentration de galaxies dans la région possible, ce qui rendrait la région encore plus probable. Et si par hasard un observateur a détecté dans cette région une émission par exemple de rayons X ou de neutrinos, au moment précis de la fusion des deux trous noirs, alors on tient l'emplacement de cet événement historique.

La source sur une carte du ciel
Probabilité de position de la source de GW150914.
Le contour violet limite les zones
où la source a 90% de chances de se trouver.
© LIGO Lab / Axel Mellinger, 2016.
      Mais évidemment les scientifiques ne veulent pas compter sur un tel coup de chance, et souhaitent tirer la localisation des seules mesures du passage de l'onde gravitationnelle. Vous comprenez pourquoi il leur faut travailler avec plusieurs récepteurs. Avec trois récepteurs (LIGO H1 et L1 et VIRGO dès la fin de 2016) on pourra construire trois cercles par le même procédé. Les trois cercles devront se couper en un point unique qui donnera la direction de la source. Avec quatre récepteurs ce serait encore plus précis puisqu'on pourrait construire six cercles qui se couperaient à l'emplacement cherché. Avec cinq récepteurs, on construirait dix cercles, etc. Faudra-t-il donc multiplier les récepteurs ? Cela semble économiquement et techniquement difficile, compte tenu de l'extrême complexité de leur construction.

      Pour terminer, voici à droite une image d'un autre calcul sur le même objet. On a superposé le tracé des probabilités à une photographie du ciel, où on retrouve les étoiles de notre Voie Lactée au premier plan ... Noter que la zone à 90% de probabilité doit renfermer plusieurs centaines de galaxies toutes candidates à l'accueil de la source !







Séléniens qui ont apporté leur concours à la création de cet article :

Georges Paturel.

Mise à jour du 17 Mai 2016 (22h40)